Textes de François
Texte de François n°10. Mars 2025
EN NOUS COULE UNE RIVIERE
Oh, commun des mortels, vous viendrait-il à l’esprit, 60 ans plus tard, l’idée de rechercher en eaux profondes ce qui a été à l’origine d’un choix de vie, d’une orientation dans votre itinéraire personnel. Qu’en est-il de la source enfouie qui a soudain alimenté le ruisselet qui vous a permis de devenir ce que vous êtes ? Sont-ce des raisons objectives que vous avez découvertes après coup à la suite de longues réflexions ?
• Il est devenu éducateur auprès des enfants fragiles parce que ce petit philosophe de pacotille s’ouvrait enfin aux sciences humaines,
• parce que sa sœur, née handicapée, méritait réparation,
• parce qu’il refusait de devenir pharmacien comme le père,
• parce qu’il aimait piloter les groupes de sportifs et les carrefours de réflexions,
• parce qu’il aimait ce pouvoir de protéger et d’influer sur le parcours des autres.
Oui, mais pas que !
Alors quel est ce vent favorable qui a soufflé dans mes voiles pour m’aider à passer le « cap de bonne espérance » ?
UNE ENTREE EN SCENE MOUVEMENTEE
Comme dans un rêve lointain qui bientôt risque de se terminer, je revis les premières étapes où j’ai osé avancer seul, sans père, mère, frères et sœurs, hors de ma bulle protectrice. Dans mon imaginaire romantique se dressent les ruines fumantes d’un château d’une banlieue lilloise en bord du bois de Boulogne, à deux pas de la Deûle. Sur sa fin de vie, mon père, sans doute un peu dépité par mon manque d’enthousiasme à entrer dans la vie professionnelle, m’avait trouvé un stage auprès d’enfants dits « cas sociaux » des quartiers de Wazemmes, Hellemmes, Marcq et autres lieux de misère du Nord et du Pas-de-Calais. En ces temps-là, on réutilisait souvent les châteaux ou maisons de maître pour accueillir les enfants placés par le juge. Mais c’est une odeur désagréable qui me remonte aux narines : l’odeur âcre de fumées devenues froides ! En effet, le château venait de brûler complètement quelques nuits avant mon arrivée. L’angoisse était encore prégnante dans les groupes d’enfants et parmi l’équipe éducative. Le « feu de Dieu » s’était propagé dans les étages à partir d’une cigarette allumée dans le lit d’un des préadolescents hébergés. Quelques éducateurs avaient sauvé les derniers jeunes encore endormis par leur traitement. L’armée, appelée en renfort, avait installé dans la cour trois pavillons de bois hébergeant chacun une vingtaine d’enfants. Un vieil éducateur doucereux, sentant ma fragilité originelle, me fit visiter les lieux : la cuisine, réinstallée dans le garage, les ateliers dans les sous-sols, les classes, dites d’intégration, en préfabriqué, et enfin mon futur lieu de vie. Au moment du repas commun en salle à manger : ce fût un choc !
Dès mon entrée, et comme pour me faire ma fête, vingt poulbots de dix à douze ans se mirent à crier à tue-tête et à se bousculer dans un chahut indescriptible. Quelques assiettes s’envolèrent et ils se mirent à taper du poing en rythme sur la table. Le vieil éducateur resta stoïque dans la tempête et tenta de les calmer pour me présenter. C’était la première fois que l’on m’appelait « chef », chef François ! Cela était censé me donner un semblant d’autorité qui fut vite mis en cause dès mon introduction.
Heureusement, l’éducateur spécialisé de service arriva enfin, mais en retard, peut-être par un hasard bien calculé. Comme souvent en ces temps immémoriaux, notre sauveur instaura son rapport de force avec vigueur par quelques giflettes bien senties.
Il respirait la puissance et les petits gars en foufelle s’envolèrent comme une volée de moineaux. Les bouteillons de nourriture, portés par deux enfants de service, arrivaient enfin pour combler l’impatience des résidents. Ce jour-là, je ne sais pourquoi, je n’ai pas pu déguster les plats avec plaisir. Le vieil éducateur chercha à me rassurer : « tu verras, plus tard, tu les comprendras ! » Je les ai compris !...... Peut-être !
En attendant, j’ai dû subir plusieurs fois l’écho des savanes sauvages, les cris, les gémissements, les tensions et les rebellions larvées.
A L’AUBE DE MON AVENTURE
Hop ! Dès le matin, lève-toi, l’heure sonne !
Bien trop tôt pour les deux stagiaires de service. Les enfants aèrent leur lit et vont se débarbouiller à l’eau fraîche dans la vaste cuvette de l’entrée. Je repère l’attitude bizarre de deux d’entre eux qui cherchent à cacher leurs draps souillés et qui les enferment rapidement dans un sac prévu à cet effet pour les remonter en lingerie. Dans mon confort de petit bourgeois, je n’ai compris que plus tard en quoi leurs traumatismes pouvaient influer sur cette réaction corporelle irrépressible. Je fus d’ailleurs chargé de conduire les nouveaux à la lingerie avec le sac de draps. Ils allaient rencontrer la lingère, Mme Rose, une institution à elle toute seule ! Son accueil était jovial et empreint de compréhension. Elle devait montrer beaucoup de doigté pour leur faire subir cette étape : se déshabiller entièrement, essayer de nouveaux vêtements, c’est à dire changer de peau, changer de texture, d’odeur, et enfiler culottes courtes de rigueur et godillots de marche. Cela correspondait pour eux à un changement de vie imposé, même s’ils quittaient bien souvent la violence et le stress familial. D’ailleurs, certains enfants ne pouvaient cacher leurs cicatrices et les marques de lanières, et Mme Rose leur appliquait des baumes apaisants. Ainsi, pendant les périodes difficiles du séjour, il arrivait que certains se réfugient chez Mme Rose pour se faire bichonner et soigner leurs tourments.
MES PREMIERES « PRISES EN MAIN »
Il « faut que tu fasses quelque chose avec eux, tout simplement ». Sans formation, sans expérience hormis quelques colos et centres aérés, je ne pouvais compter que sur mon potentiel.
Après le grand rassemblement du matin, dans le pur style du scoutisme ambiant, les jeunes étaient répartis soit dans les classes, soit dans les ateliers, ou avec nous pour des activités pédagogiques. Telle que je l’avais pratiqué dans les clubs de hand-ball, mon expérience dans l’organisation de séance d’entraînement sportif pouvait me servir. Et nous voilà partis au petit trot dans les jardins publics de Lambersart sous le regard soupçonneux des habitants. Mais, heureusement, pas le temps de s’arrêter pour cueillir des fleurs. Toutefois, le niveau de mes jeunes était tellement disparate et l’envie tellement fluctuante que je n’insistais pas outrageusement et je revins à un travail par vagues dans l’espace contraint de la cour du centre d’observation. Je pouvais ainsi mieux adapter leur charge physique à leur niveau de compétence. Puis on passa aux jeux de balle au prisonnier où les plus forts dominèrent rapidement. Je repérai ainsi les mous, les craintifs, les combatifs, les leaders et les difficultés psychomotrices plus profondes que je notais ensuite sur mon petit carnet.
Un soir, il me vint une idée : organiser une soirée judo. J’avais quelques rudiments appris lors de mes deux premières années en club mais il semblait osé de proposer un sport de combat à ces petits loubards vite excités par la perspective d’en découdre : le jeu pouvait tourner au vinaigre.
On va donc préparer la salle ensemble : le dortoir est débarrassé de ses lits pliants, entreposés dans la chambre de veille. On étale les matelas collés les uns aux autres pour constituer le tatami. Je débute l’entraînement par les phases de chute : chute avant, latérale, arrière en claquant le bras au sol pour amortir le choc. La discipline s’installe sans trop de problèmes d’autorité. Puis nous passons à l’apprentissage des prises de jambes au ralenti, l’intérêt est évident. On change d’adversaire, on se salue, on salue le tapis : respect des règles, respect collectif, respect de l’adversaire ! Certes, au bout d’une heure quelques coups de poings volent bas mais les leaders ne veulent pas écourter la séance et imposent un calme relatif. A ma grande satisfaction, ils réclament même la date du prochain entraînement.
Mme Rose se demande encore pourquoi il y a eu autant de pyjamas abîmés dans le groupe des petits…
LA NUIT, ENTRE OMBRE ET LUMIERE
La nuit, en collectivité, réveille leurs angoisses. Les histoires familiales remontent en eux, souvent faite de cris, de brutalités et d’affrontements amplifiés par l’alcool. Peut-être aussi, je l’espère pour eux, des souvenirs de connivence et d’affection dispensé par une mère, un frère, un groupe de copains des rues jusqu’à tard le soir, en toute liberté.
Ah ! Liberté chérie !..... Il faut les rassurer, les calmer, j’osais alors leur raconter des histoires dans la pénombre ; au début, des historiettes d’enfants puis des contes plus élaborés dont j’allais chercher la trame dans ma bibliothèque d’adolescent. Ma collection des « contes et légendes » de différents pays me fut très utile : le Japon, l’Afrique, la Rome antique et surtout l’Espagne. Mais au travers de mes histoires de citrouille et d’artichaut, étais-je Sancho Pancha ou Don Quichotte ? Alors, pour donner une validité à mes propos, j’utilisais mon nom « Lespagnol » pour accréditer la véracité des récits transmis par mes ancêtres. Certains enfants s’endormaient, d’autres attendaient la fin et réclamaient des suites que je n’avais pas prévues et qu’il fallait inventer. Pas besoin de réveiller leurs frayeurs, les obstacles qui se dressaient devant le héros étaient surmontables. Pas besoin de crier ; au contraire, prendre le ton de la confidence dans la nuit suffisait pour le grand frère que je croyais devenir. Le matin, je récoltais parfois l’écume de leur nuit tourmentée.
LE MOMENT CLE D’UN CHOIX DE VIE
Enfin, on m’accorde quelques jours de congés, après ces trois premiers mois de travail. J’en profitai pour me casser le nez lors d’un match, ce qui me donna deux semaines de plus au lit.
Retour sur moi-même dans mon lit de douleurs :
• allais-je tenir le coup face à l’instabilité de mes zouaves ?
• Allais-je tenir le coup dans la durée, dans cette profession ?
• Allais-je pouvoir louer une chambre sans bourse supplémentaire ?
• L’armée allait-elle me rattraper en cette fin de guerre d’Algérie ?
Tempête sous mon crâne, feu dans ma cheminée, nœud gordien…
Ma dernière nuit de convalescence m’apporta ses conseils sur un plateau d’argent ! Face aux petits sauvageons, avais-je pu établir quelques contacts ? Avais-je éprouvé quelques plaisirs ? Avais-je transmis quelques messages ? Enfin, y avait-il résonance entre ma motivation initiale et leur envie de vivre ?
Au petit matin du dernier jour, ma décision était prise : Peter Pan allait quitter son costume et atterrir dans le monde des grands.
LE GROUPE DES « GRANDS », UN CHOC DES CULTURES
De retour avec mon masque de protection nasale qui me donnait une aura particulière, on m’annonce d’emblée mon transfert dans le groupe des « grands ». « Ici, c’est comme à l’église, il ne faut pas trop s’attacher, tu le comprendras plus tard ». Je subis donc une deuxième séance de présentation par le vieil éducateur chevronné. Les adolescents de 15 à 16 ans me jaugent en se redressant sur leurs ergots de jeunes coqs. Le premier rang de leaders, d’origines ethniques différentes, me toise, mais pas d’explosion, pas de cris ou d’insultes, on jugera sur le tas. Le vieil éducateur les canalisa en leur promettant la possibilité d’une sortie en ville… avec les deux stagiaires ! La peur de ne pas maîtriser ce cadeau empoisonné nous envahit peu à peu. Dans un premier temps, départ vers le bois de Boulogne pour un jeu de gagne-terrain avant de visiter le zoo : répartition pénible des équipes, tensions et petites bagarres nous font abandonner la partie. Quelques animaux du zoo, alors en déliquescence, attirent leur attention, en particulier les singes de par leur comportement sexuel explicite. Mais le groupe se maîtrise parce que nous sommes invités à une séance de cinéma à l’entrée de Lille. Le rassemblement de plusieurs institutions dans la même salle vire rapidement à l’accrochage ; c’est la foire d’empoigne entre bandes. Quelques éducateurs et vigiles tentent le retour au calme mais les insultes volent en escadrille jusqu’à ce que la magie du cinéma opère et que le projectionniste lance enfin le faisceau lumineux à travers la salle. Je ne sais pas si j’ai enrichi leur culture mais je connais beaucoup mieux la leur depuis mes séances régulières d’acculturation : Ben Hur, Spartacus, Gladiator, la révolte des prétoriens, les 10 commandements, Pompéi et Rome, unique objet de leurs ressentiments ! Le public, très participatif, prenait bruyamment fait et cause pour le héros et vilipendait les traîtres et les méchants en projetant dans la salle tout ce qui leur tombait sous la main.
De grands moments de cinéma !
FUGUES EN RE POUR MINEURS
Lorsque nous récupérâmes nos ouailles, il en manquait trois qui avaient sans doute fugué ensemble. Évidemment, le groupe ne voulait pas nous donner d’informations sur leur destination, par cohésion sans doute et peut-être aussi par peur des représailles. Nous repartîmes donc en référer aux autorités institutionnelles, pas plus perturbées que cela : le commissariat situé comme par hasard à 200 mètres de l’institution, le juge des enfants responsable du placement et du suivi, l’assistante sociale et, bien sûr, le directeur, ancien cadre de l’armée comme souvent dans la rééducation d’alors. C’est nous qui fûmes chargés, quelques jours plus tard, d’aller les chercher chez les parents chez qui ils s’étaient réfugiés, car, quelque soient les traitements infligés, les blessures, les coups, les sévices, il reste toujours l’espoir d’un retour au bercail. Ces visites avec notre assistante sociale ou le référent de justice nous ont apporté beaucoup sur la connaissance des milieux dans lesquels ils retourneront, presque toujours, un jour. Pourtant, ni l’équipe éducative ni même le juge ne connaîtront la part d’ombres cachées dans le for intérieur des familles et des bas quartiers des cités.
CINEMA PARADISO
Leur plaisir d’accéder au cinéma me poussa à ressortir mon vieux projecteur familial offert par mes parents pour l’anniversaire de mes 15 ans. Les vieux films Pathé-Baby en 9 mm pouvaient être recollés et remontés. Stockés dans leur galette d’origine, ils pouvaient resservir pour quelques séances du soir. Là aussi, on débarrassait la moitié du dortoir et, lorsqu’ils avaient fini de cirer le parquet, contrepartie négociée pied à pied, j’installais mon vieux matériel et les leaders maintenaient un semblant d’ordre jusqu’à l’extinction des lumières. Au début, les Mickey, Donald, Félix le chat, Buster Keaton, Charlot, Bibi Fricotin amusaient la galerie. Mais, au bout de 4 séances bimensuelles, j’arrivais au bout de mon stock et osais alors passer quelques documentaires et films familiaux. Evidemment, il ne s’agissait pas du même milieu socio-économique et l’un des plus grands osa même un « casse toi l’éduc, t’es pas de notre monde. » Mais les jours suivants, je fus surpris par quelques questions plus personnelles. Quelques-uns osèrent faire allusion à leur propre composition familiale, les frères et sœurs, le couple et la place du père, s’il y en avait un . Mais aussi les vacances, leur habitat plus ou moins précaire, l’école s’ils y allaient, l’argent s’il y en avait, les vacances….rarement. J’apprenais ainsi à connaître leur contexte et certaines conversations devenaient plus intimes. « Chef ! Chef ! Y-a tout qui pète dans ma tête ! Calme toi mon petit. Mais chef, j’ai mal, chef ! »
Derrière leur brouillard, il y avait leur petit corps malade.
THEATRE D’OMBRES
C’était la dernière séance.
Mon stock de films épuisé, je démontais le projecteur. La lampe puissante éclairait le dortoir et projetait les ombres des enfants sur les cloisons. Quelques jeux de main pour créer des animaux les attirèrent. Puis on utilisa quelques draps tendus à partir du plafond pour constituer un écran. Quelques-uns se précipitèrent derrière la toile pour faire le singe. Ils voulaient visiblement ne plus être spectateurs passifs et souhaitaient participer corporellement. Je fis donc passer, l’un après l’autre, les premiers volontaires. Quelques consignes furent transmises : se mettre de profil, effectuer des ralentis, avoir une intention visuelle pour les spectateurs, corriger l’image réceptionnée sur la toile : il y avait largement matière à pédagogie. Quelques timides osèrent s’exposer, cachés par le drap protecteur. Quelques séances plus tard, on enchaîne les images de postures réussies pour construire une petite histoire. De petites histoires en petites histoires, nous entrâmes dans la grande histoire des ombres chinoises en élaborant des scenarii, enrichis par des fonds sonores glanés dans ma discothèque. Quelques mois plus tard, mes acteurs purent présenter, le soir de Noël, la « pastorale des santons de Provence » de Fernand Sardou revue et corrigée à leur mode, devant tout l’appareillage de l’association. Mon angoisse était à son comble car ils avaient ajouté à l’histoire un accouchement de la vierge Marie du plus bel effet visuel. Bien sûr, j’avais eu droit à moult questions sur l’origine du père !
Ce fut un succès à l’applaudimètre… Et le bouquet final de mon premier stage.
DE LA MUSIQUE AVANT TOUTE CHOSE
Non, nous n’avons pas créé de chorale d’enfants comme dans le film « la cage au rossignol » repris par Gérard Jugnot dans « les choristes ». Mais comme ils avaient leurs propres idoles du moment, nous avons utilisé cette motivation pour créer leur cahier de chants personnels. Johnny, Sylvie Vartan, Françoise Hardy, même Brassens avec ses chants iconoclastes ou Aznavour avec ses chants sur les peuples bannis. S’ils ne savaient écrire, les découpages d’album et les photos collées faisaient l’affaire.
Ma plus grande surprise vint de la « grande musique ».Au coucher, à cours de contes, je pouvais leur faire écouter des extraits de grands classiques de ma collection personnelle. Dans leurs esgourdes entre-ouvertes, j’introduisais bien souvent quelques commentaires puis mon interprétation du thème écouté : au début, Pierre et le loup, Hansel et Gretel, puis la symphonie du nouveau monde, les quatre saisons, Ketèlbey, Saint Saëns, Smetana… Comme par hasard, la musique d’introduction « les 400 coups de Godard » commence par la Moldau, le fleuve qui creuse son chemin depuis sa source, en se gonflant peu à peu, en se heurtant aux rochers, en contournant les obstacles au son d’une flûte enchantée. Il traverse les campagnes, les forêts et les villes. Comme nous, il gronde parfois de colère. Il charrie son lot de fantômes et de cauchemars. Enfin, il devient fleuve apaisé avant de s’évaser sur l’estuaire qui le guide vers une mer infinie.
« Adieu l’hiver morose, vive la rose ».
D’AVENTURES EN AVENTURES
Ce qui m’a donc porté dès l’origine, c’est l’esprit d’aventure vécu avec chacun des groupes de vie que j’ai rencontré. Certes, sur un petit bout du cours de leur fleuve. Mais j’espère qu’il leur restera quelques souvenirs des moments de plaisir, des moments d’aventure qui peut-être leur serviront face aux obstacles qu’ils rencontreront.
D’aventures en aventures, j’ai reconstitué mon Odyssée fantasmée à travers futaies et broussailles. J’ai pu, moi aussi, tracer mon chemin de chef de bande, avec d’autres équipages, dans d’autres ports d’attache. Bien sûr, j’ai dû acquérir peu à peu les outils nécessaires à la compréhension d’autres types de population, d’autres fragilités et d’autres révoltes bien plus violentes. J’ai ainsi pu mettre en place d’autres structures, d’autres équipes, et les animer pour que vivent « les rêves qui sont en nous ».
François LESPAGNOL
Février 2025
Ref : Articles de Gerard LEFEVRE , membre du Centre National des Archives et de l’ Histoire de l’Education Spécialisée
L’Etre et le devenir du cadre associatif « Allégories, Mythes et sagas professionnelles «
Texte de François n°9. Avril 2024
Comme deux frères à l’Orée du bois
Pendant le Covid, j’ai rattrapé le temps. J’ai pu retracer la vie de la famille Lespagnol, au travers des vieux films 9mm5 recollectés dans les greniers, ou par l’intermédiaire de petites nouvelles des membres qui nous constituaient. Marie-France, l’élue de son cœur, s’est tou
jours demandé pourquoi je n’avais pas écrit spécifiquement sur mon frère, comme je l’avais fait pour Père, Mère, sœurs, femmes et amis. En fait, j’attendais cette échéance des 80 ans de sagesse de Michel, pour revenir en arrière au travers de quelques anecdotes qui ont construit sa personnalité.
D’abord, Michel, c’est le petit dernier d’une fratrie de quatre. Né, il y a 80 ans à 10h du soir, il a tenté une sortie du ventre de notre mère, pour se rendre compte que la nuit était noire, et les bombardements effrayants. L’Armistice allait être signé, mais Lucien, notre père pharmacien, et Giselle la postière, avaient glissé les lettres bien avant, comme un bel espoir de vie après tant d’années de privations. On s’était réfugié à Rouen : mauvais calcul !...Car il fallait fuir sans cesse dans les bras de la maman et de la grande sœur pour se calfeutrer dans les caves. Le père devait passer les lignes pour trouver de la nourriture dans les fermes des environs ; et Michel était tombé malade de fièvre jaune. Heureusement, les américains arrivaient avec pénicilline et chewing-gum. Mais c’est bien la pénicilline qui l’a sauvé !...Les bombardements ont pulvérisé la pharmacie, et il a fallu remonter dans le nord à Anzin, où un poste de pharmacien mutualiste se créait dans l’Usine Lorraine-Escaut en pleine expansion : 5000 ouvriers jours t nuits dont on entendait les bruits d’entrée et de sortie, de grève, de jours de quinzaine dans les estaminets de La Bleuse-Borne (nom du quartier de l’ancienne mine de charbon).
On revivait enfin. Comme on habitait dans un logement de fonction attenant à la pharmacie, les petites aventures nous étaient grandes ouvertes. On se glissait dans les monte-charges des stocks, on explorait les sous-sols, on piquait les bonbons au vol, on ensachait les paquets de réglisse avec le préparateur en pharmacie. Mais Michel vivait déjà plus dangereusement. On l’a retrouvé un jour pendu par les pieds au cerisier du fond du jardin, ou sur la couverture vacillante du poulailler. Il faisait la descente en rappel de la corniche qui menait à l’usine en contre-bas, on explorait les sous-sols de la clinique attenante.
Pour se donner bonne conscience, on nous envoyait à la messe de l’abbé Pilate à l’église du village non loin de notre école maternelle. En rentrant, on racontait ce qu’on avait entendu et notre père… « qui êtes aux cieux »… s’amusait beaucoup du chant « asperge me domine » sans nous expliquer le sens caché qu’il y voyait. On a compris bien plus tard son jeu de mot prémonitoire.
La vocation sportive de Michel s’affirmait de plus en plus. Il me faisait des démonstrations de saut à la Fosbury, ou me faisait monter à 6m de haut sur le toit de la laverie de la pharmacie. L’usine possédait une piscine de plein air, qu’elle chauffait avec ses résidus, et qu’elle mettait à la disposition de la population. On s’y rendait tous les jours, tous les trois, par tous les temps…puisqu’elle fumait même en hiver…c’était un autre temps…Les 4 nages et les entraînements quotidiens ont formé le cœur de Michel à 50 pulsations/minute, et les compétitions entre nous allaient bon train. Il commençait à me dépasser sérieusement !... Au point de me défendre parfois contre quelques voyous du quartier qui se croyaient en terrain conquis ; On nous appelait les « épinoches de’l Bleus’Borne » ! Mais Michel est allé plus loin en pratiquant le water-polo, sport trop fatiguant pour moi. Il s’est engagé quelques temps au Pélican Club de Valenciennes, pendant que moi, je me consacrais plutôt au hand-ball et à la vocation d’entraîneur.
Pendant les vacances scolaires, et jusqu’à l’âge adulte, on émigrait vers Ault-Onival avec des véhicules d’après-guerre pas toujours fiables, puis avec des voitures d’occasion plus conformes, qu’on nous avait appris à conduire dans la cours des grands bureaux de l’usine. On s’est d’ailleurs planté plusieurs fois dans les gravats. Enfin on se « la pétait » avec la Chambord de Papa qui ne pouvait plus conduire.
Toujours le sport : canoë-kayak entre Ault et Onival, natation bien sûr, mais aussi volley-ball par tous les temps dans les villages des environs : on s’y rendait en stop ou dans les charrettes des paysans du coin. On nous avait inscrits au club Mickey, et Michel s’est bien adapté aux jeux multiples proposés. Il a forcé mon admiration lors des combats de lutte pour aboutir en finale. Il ne faisait pas bon être dans ses bras même s’il paraissait encore bien filiforme (MF). Il ne craignait rien ! Même pas les vagues puissantes de la mer du Nord. Il a d’ailleurs failli se noyer, et a dû sa survie à un quidam qui a bondit dans la mer avec le soutien d’une chaîne humaine. Et Michel est encore là aujourd’hui, et il nage encore paisiblement comme un jeune phoque à 80 ans révolus.
C’est une période charnière : à l’origine j’étais l’aîné et le plus grand rapidement à 1m70, face au petit blond apparemment plus faiblard. Je suis devenu le plus petit, et il a gagné en puissance mais pas en sagesse, m’entraînant ainsi dans toutes ses expériences sportives.
En grandissant, nous avons fréquenté le lycée Wallon de Valenciennes, d’abord à vélo puis en prenant le tram, toujours au dernier moment, et en l’attrapant au vol et ce jusqu’au BEPC. A part le prof de gym, on n’a pas trop cru en nous puisqu’on voulait nous orienter en technique ! Nous avons donc intégré le lycée d’Etat (mixte quand même) de Le Quesnoy, en internat de semaine.
Je crois que ce fut pour nous deux, la chance de notre vie. On y a rencontré une équipe d’enseignants motivés, parfois pittoresques mais riches d’humanité.
Michel fut vite repéré par le prof de maths, pour ses qualités intellectuelles, certes, mais aussi parce qu’il était président du club de volley de la ville. On participait aux entraînements de semaine, et on était souvent collé d’office le week-end pour venir nous chercher plus rapidement en cas de match important. Il fallait emmener son sel pour décongeler le terrain dit des « Canadiens » avant l’arrivée des adversaires. On ne connaissait pas la manchette, et le passage des mains était interdit au contre. Michel, gaucher, à la détente sèche et rapide, devint l’attaquant majeur, à qui je délivrais des passes de rêve qui le mettait en valeur. Que de coupes gagnées et accumulées dans les placards, que de bières versées au café de la place !
Derniers jours au lycée, dernier chahut : ça se termine en bagarre de polochons sur les 2 étages du lycée, et Michel a traversé une vitre au cours d’un assaut ultime, qui a gâché la lutte finale.
Le lendemain, décrassage collectif dans l’étang du Quesnoy avant de se quitter pour la vie.
Puis nous sommes donc passés de l’autre côté du miroir, en devenant surveillant d’internat. Michel était réputé pour sa « cool attitude » assez permissive, à l’avant-garde d’une pédagogie préconisée dans les hautes sphères (tout le contraire de l’autorité qu’il dégageait quand il manageait un entraînement intensif). On assumait les transferts d’internes du vieux au nouveau lycée. Le collège d’origine d’une capacité de 200 élèves passa à 1200 ou 1500 élèves avec toute la réorganisation afférente, pas toujours dans le sens que nous souhaitions.
Dans cette intimité familiale ci-réunie, j’évoquerais rapidement nos premières amours, cette fois chacun de son côté et avec nos capacités différentes : François, le philosophe ténébreux, Michel le beau sportif au corps sculptural, qui avait fait de la danse un outil de séduction redoutable.
On en parlait assez peu entre nous, chacun tentant ses petites aventures de son côté. A tel point que lors de la recollection des films de notre adolescence, j’ai jugé bon de faire un petit film à part pour les 2 frères, un peu comme le curé de « Cinéma Paradisio ». Je craignais que nos sœurs encore vivantes ne s’offusquent de notre vie dépravée.
Ainsi nos chemins se séparent. Je m’oriente vers les sciences humaines et la formation d’éducateur spécialisé, et Michel s’engage dans l’armée pour 4 ans de formation.
Inutile de dire que le casse-cou sportif qu’il était à trouvé à s’exprimer largement, avant le retour à la vie civile.
Nos chemins se séparent et chacun s’envole avec sa belle !...Marie-France d’un côté, Evelyne de l’autre !...ainsi va la vie, ainsi la vie va !…
En conclusion, je dirai que les frères Lespagnol, malgré leurs différences que je viens d’expliciter, constituaient une complémentarité qui s’inscrivait dans une entente tacite, qui selon moi, n’avait pas besoin de mots pour exister.
Pourtant, vient le moment de dire les choses…
Car on ne dit pas assez « Je t’aime » aux personnes qui nous entourent le plus, et je ne veux plus avoir ce regret-là. Ce moment est venu à 80 ans révolus, c’est en principe l’âge de la sagesse, plus ou moins imposée par quelques affaiblissements mesquins.
Michel,
Conserve encore ta belle énergie interne,
Conserve ta belle capacité de résistance,
Conserve et transmet les valeurs qui t’ont porté toute ta vie…
François, le 20 avril 2024.
Texte de François n°8. Janvier 2023
Comme le survol de l’Aigle au dessus de nos vies
On n’est pas sérieux quand on atteint 80 ans !
Et pourtant, me croirez vous ? Ce grand âge me pousse enfin à une certaine sagesse. J’ai donc beaucoup à apprendre des textes anciens qui reflètent d’autres conceptions du monde que celles de notre vieille Europe. Ayant encore quelques temps à perdre, je me suis attardé sur une civilisation en voie de disparition mais dont les traditions orales ont été collectées et traduites par un ethnologue dans un recueil intitulé « Sagesse des indiens d’Amérique ».
Du haut des collines de ce bon saint martin, je contemple six petits nuages blancs qui se succèdent étrangement dans le ciel. Ils représenteraient les six messagers bienveillants, qui, au cours de ma longue vie, m’ont donné la force d’ouvrir de nouvelles portes. Vont-ils enfin percer pour irriguer à nouveau mon esprit affaibli ? Un sorcier agite sa fourche de sorbier pour raviver les sources enfuies dans mon jardin secret.
Hi, ha, hi, ha, ho ! Hi, ha, hi, ha, ho !
C’est la danse de la pluie,
tape, tape , petit homme blanc,
tape, tape sur le sol,
cherche en chantant ta mélopée,
avec qui a débuté ta propre genèse !
Autant qu’il m’en souvienne, à la sortie du grand conflit mondial, mon adolescence se complaisait dans une sorte de léthargie molle ! Mes parents m’offrait un enseignement de qualité, mais je me laissais aller à la facilité ; peut-être préférais-je l’obscurité de l’esprit à une curiosité par trop risquée ? J’étais encore une transparence, à tout le moins un vague brouillon ; mais qu’allais-je donc devenir ???
Certes, j’avais un bon coup de crayon qui faisait dire à mon père que je pouvais être un jour professeur de dessin. Mais dans ce lycée huppé, cette seule qualité fut jugée insuffisante et je fus orienté avec humour vers la voie technique, moi qui ne savais rien faire de mes dix doigts ! Survint alors, du bout de l’horizon, mon premier nuage bienveillant. Seul, comme pour beaucoup de cancres, le professeur d’éducation physique décela en moi quelques capacités motrices et me fit connaître un jeu de vilains : le Hand-ball. Mon « je » s’est formé initialement par ce jeu. Un jeu d’équipe qui vous oblige à vous coordonner avec les autres , à vous affronter à d’autres équipes, à mettre en place des stratégies, à se préparer physiquement et moralement. Ce professeur nous a appris à gagner ensemble mais aussi à perdre et à souffrir ensemble face à l’adversité. Surtout, pendant cinquante ans, ce sport devint un levier de communication sociale avec les populations des villes dans lesquelles j’ai pu travailler. Avec leurs adolescents, je devenais entraineur, manager, leader… Capitaine , oh, mon capitaine ! Mais c’est mon frère, beaucoup plus polyvalent que moi, qui devint « prof de gym ». Ha ! Ha ! Ha !
Hi, ha, hi, ha, ho !
Dans ce chant incantatoire, je crois entendre une voix venue des hautes sphères, « tu ne parles que de ton corps, encore et encore ! Mais où en es tu des forces de l’esprit ? » Un jeune abbé me conduit à travers les brumes religieuses. Devenu sensible à la vie de groupe, j’entre enfin en mouvement en adhérant à la jeunesse étudiante chrétienne. J’entends l’appel de Dieu ! Je deviens plus ouvert aux messages des prophètes et cherche à comprendre leur sens caché. Puis je me donne pour mission de les transmettre et de les traduire à mon groupe d’appartenance. Pauvre enfant que je suis ! Pauvre aveugle ! Je ressens plutôt le pouvoir des mots sur quelques uns de mes amis d’alors. Certes, c’était pour servir une cause généreuse, mais on peut si facilement conditionner un homme. « Il est triste de voir les gens tenter d’uniformiser les autres. Nous sommes comme les fleurs sur le Terre, ce serait si ennuyeux de sortir de chez soi et de ne voir que des pâquerettes » disait chef Joseph, dit « nez percé » de la tribu des Mohawk. Heureusement, j’étais piloté par ce jeune abbé, chargé du même élan que moi mais en capacité de canaliser ce jeune influenceur que j’étais alors devenu. « Alors, tu veux vraiment devenir curé mon fils ? » Me demande mon père qui suivait de loin toutes mes pérégrinations intellectuelles. Par chance, on ne veut plus de moi au lycée des nantis, on ne reconnaît pas ces grandes richesses qui végètent encore en moi.
Hi, ha, hi, ha, ho !
On se retrouve donc, mon frère et moi, internes dans un petit lycée d’état (mixte quand même) dans une petite bourgade des environs de Valenciennes. Un lycée à dimension humaine, dirigé de façon artisanale, animé par quelques professeurs romantiques, amateurs de musique, de peinture, de cinéma, de culture au sens large, voulant faire partager leurs connaissances et leurs passions à nos esprits encore incultes. Nous y avons fait notre place, nous y avons construit notre identité. Je ne remercierai jamais assez, mais un peu tard, la troisième personne qui m’a révélé les « écritures ». Une professeure de littérature d’origine corse qui m’a fait connaître les grands auteurs. Nul en matière scientifique et fier de l’être, je faisais les fonds de classe en ressassant l’échec de l’éviction du lycée précédent. Toutefois, je captais au vol quelques signes et interpellations de la « p’tite prof », il me plut d’y répondre, de temps à autres, puis plus souvent, puisqu’elle m’y autorisait. Peu à peu, je lâchais le radiateur et remontais, jour après jour, les rangées de la classe. Je saisissais les problèmes humains posés par ces couples d’un autre siècle, leurs amours, leurs turpitudes, leurs rêves. Je devenais ainsi, je crois, un interlocuteur valable à ses yeux. Rabelais, Racine, Molière, La Fontaine et les modernes, Baudelaire, Rimbaud, Verlaine commençaient à faire leur trou dans ma petite tête.
Hi, ha, hi, ha, ho !
« C’est ainsi, je ne peux pas me faire tout seul ! »
*« oiseau volant » de la tribu Mic Mac.
Alors, j’ai rencontré un professeur de philosophie contemplant le monde d’ici bas perché sur mon quatrième petit nuage. Ce professeur de terminale, rigoureux, n’a heureusement rien terminé. C’était plutôt le début des grandes réflexions, des introspections, des analyses, des joutes verbales. Il fallait décortiques les textes, comprendre les arguments développés, mais sans jamais se laisser aller à l’adhésion inconditionnelle, à une seule théorie. Thèse, antithèse, hypothèse un, hypothèse deux, « mais surtout François ! En synthèse, contente toi de donner ton simple avis avec humilité. Que ta conclusion ne devienne pas une nouvelle vérité première qui s’impose d’évidence à tous. »
Car c’est ainsi que des gourous se sont introduits dans la grotte, souvent ils dirigent les princes sans qu’ils s’en rendent compte et dirigent ainsi les peuples, parfois même jusqu’à la guerre !
*Réflexion inspirée du chef « Elan Noir » de la tribu La Kota.
« Ecoute moi bien mon fils, au vu de tes qualités indéniables, tu ne peux pas devenir pharmacien, apothicaire ou guérisseur comme moi. Mais que veux tu donc ? » « Moi, je veux être directement utile aux autres, aux enfants qui n’ont pas eu notre chance, aux handicapés comme ma petite sœur ! » argument sensible et retenu. « Tu seras donc éducateur ! » me dit enfin le Pater familias sur son lit de mort en feuilletant avec moi la liste des écoles de formation. Ma première sélection se solda par un échec cuisant, ils avaient dû mal interprété mes tests de Rorschach et la jolie psychiatre me trouvait par trop immature affectivement et sexuellement ! Alors, si on ne peut plus rêver ? Quelques années de stages pratiques en maisons d’enfants, cas sociaux et délinquants, m’ont remis les pieds sur terre.Ces institutions laissaient peu de place au romantisme. Les jeunes équipes débutantes fonctionnaient à l’instinct, sans référent pour les guider, jours et nuits, face à des groupes d’enfants perturbés. Pourtant, les écoles de formation s’étoffaient de personnels pluri-disciplinaires compétents : psychologues, sociologues, médecins, mais aussi artistes et même simples éducateurs de terrain. Je saisissais donc la balle au bond et m’engageais dans cette équipe en rodage.
Hi, ha, hi, ha, ho !
Mais qui sera mon cinquième grand inspirateur ? Le hasard, mais es-ce vraiment lui ?, a mis sur notre route un éthno-antropologue (bigre !) qui avait déjà gérer des groupes de formation et qui nous a apporté bien des éclaircissements avec son humilité non feinte. C’était un phare pour nous tous. Il était le fils destiné à la prêtrise, comme dans beaucoup de grande familles du nord, mais il voulait connaître la vraie vie. Je l’ai donc accompagné dans sa famille, dans un village du Ternois, pour l’aider à annoncer cette nouvelle effrayante : « je quitte la prêtrise, mais pas Dieu, rassurez vous ! ». Il avait quand même rédigé une thèse de doctorat de trois cent pages sur la sexualité, signe précurseur de faire couple, ne croyez vous pas ? Nous avons mis en place les mesures de formation dites d’adaptation rendues obligatoires par les nombreux personnels sans diplôme des institutions du Nord – Pas de Calais. Face à leurs résistances légitimes, nous avions adopté une méthode particulière : sur un sujet qu’ils avaient majoritairement cautionné, nous organisions la semaine de formation autour de plusieurs intervenants de disciplines différentes et parfois de convictions différentes. Ceci permettait d’avoir plusieurs angles de vue sur le même sujet d’étude. Ce croisement des regards leur laissait le libre choix de leur propre synthèse.
Sagesse des indiens d’Amérique : c‘est en 1492 que les lois de nos ancêtres évoluèrent. De nos jours, des historiens, des anthropologues ont bêché notre terre, ils n’ont pas trouvé de prison, de pénitencier, ils n’ont trouvé aucun asile de fous.
« Dites moi, comment cela était possible ? »
*Phillip Deere au nom du peuple Muscogec et Creek.
Hi, ha, hi, ha, ho !
Hi, ha, hi, ha, ho !
Ce métier de formateur ne pouvait durer qu’un temps . Je voulais retourner sur le terrain des enfants fragilisés, pour expérimenter mes théories pédagogiques avec une équipe de travailleurs sociaux à piloter réellement. J’ai donc animé successivement quatre équipages :
• deux bateaux à voile partant du port d’Etaples, avec des enfants et adultes handicapés sortant d’hospices et hôpitaux,
• Un fameux trois mâts pour adolescents en voie de liberté,
• Un vaisseau amiral pour marins polyhandicapés par la vie.
Dans ces quatre institutions, j’étais le seul pilote à la barre, bien secondé par des lieutenants motivés sachant animer leurs équipes et saisir les vents pour naviguer en haute mer. Mais je n’aurais pu mener à bien tous ces projets sans le soutien d’un médecin pédopsychiatre à la présence rassurante. Je sens encore maintenant l’odeur du petit nuage qui s’exhalait du calumet qu’il fumait ostensiblement en fin de chaque réunion de synthèse d’enfant. C’est mon sixième petit nuage qui s’envole au vent. Il m’a appris à tenir compte des souffrances et des anxiétés des enfants mais aussi des parents et des équipes. Les synthèses hebdomadaires en cercle nous donnaient cette force d’avancer ensemble.
« La vie de l’homme est un cercle de l’enfance à l’enfance »
*Elan Noir d’oglala La Kota, repris dans « Pieds nus sur la terre sacrée ».
Ainsi ai-je trouvé mon chemin grâce à eux car j’ai pu arrimer mon âme à la leur.
« Leurs âmes poursuivent ainsi leur vie »
*Thomas Wild Cat de la tribu shawnee.
Ainsi, la jeune pousse que j’étais est-elle devenue un arbre. Certes, quelques ramures sont devenues fragiles mais les racines demeurent, je l’espère, encore longues et profondes et mon feuillage peut vous apporter quelques fraicheur. Venez donc autour de mon tronc, chanter et danser au rythme des tambours.
Hi, ha, hi, ha, ho !
Hi, ha, hi, ha, ho !
Et toi, lecteur courageux, pourrai-tu retrouver dans ta mémoire les personnes qui ont marqué ta vie ?
Hi, ha, hi, ha, ho !
Hi, ha, hi, ha, ho !
Car depuis le début des temps, les tambours battent les rythmes du monde.
*Jimalee Burton (tribu cherokee).
Texte de François Lespagnol dit « Bec Blanc », en hommage aux grands Esprits qui m’ont inspiré. :
1. Mr René Pruvost, professeur d’éducation physique à Valenciennes
2. L’abbé Kentric, délégué des lycées du Valenciennois
3. Mme Fortunati, professeure de littérature au lycée de Le Quesnoy
4. Mr Gauchet, professeur de philosophie au lycée de Le Quesnoy
5. Mr François Rollin, formateur à l’école d’éducateur de Lille
6. Mr le docteur Reyns, pédopsychiatre à l’hôpital de Saint Venant et vacataire en maison d’enfants
mais aussi :
• Mr Betremieux, professeur de dessin à Valenciennes
• Mr Armand, professeur de musique à Valenciennes
• Mr et Mme Graverol, directeur du lycée de Le Quesnoy
« Sagesse des indiens d’Amérique » édition « table ronde » 1995, textes rassemblés par Joseph Bruchac.
Texte de François n°7. Avril 2022
MES DEUX SŒURS : la guerre et caetera
Le doux printemps reviendrait il enfin sur le Nord ? Pourtant, les miasmes épidémiques réapparaissent par vaguelettes, et transforment nos rythmes de vie : difficile de rester positif ! D’autant qu’une ombre plane sur l’Est et réveille des souvenirs pénibles transmis par nos parents et grands parents. Les loups s’approchent de nos frontières et plongent à nouveau les populations dans la peur, l’exode et la fuite éperdue. Mais comment les enfants que nous fûmes ont-ils vécu ces moments de tension et de frayeur ; comment ont-ils simplement survécu dans les méandres de la guerre ???
Bigre mon François ! Ne te laisse pas de nouveau envahir par la sinistrose ambiante ! N’as tu pas appris, avec les enfants perturbés que tu as côtoyés, a changer d’angle d’approche ? Malgré leurs avatars, rechercher leurs forces, leurs potentiels enfouis ; les mettre en synergie pour reconstruire un chemin, leur permettre ce qu’on appelle maintenant la Résilience !
Mes deux sœurs aînées ont vécu comme tant d’autres, cette période annonciatrice des malheurs du monde dit civilisé. Mais peut on échapper aux réalités, où se créer un monde à part dans l’art ou l’imaginaire ; quelques films me reviennent en mémoire : jeux interdits, la vie est belle, Hope ans Glory ou la guerre à hauteur d’enfant !
D’abord, il y eu ma sœur Yolande née dans l’entre deux guerres, mais sans savoir que la deuxième arriverait brutalement dès son adolescence. Sur les premiers films Pathé baby tournés par notre père, elle respire la joie de vivre. Enfant encore unique, issue d’un couple improbable entre un pharmacien nouvellement diplômé et une petite postière accorte et sympathique, prête à l’aventure d’un mariage d’amour.
Ils s’installent a Cousolre et Yolande se révèle particulièrement douée pour les études. Toutes les attentions sont concentrées sur elle... Mais, dans le Nord de France,l ’on comprend que la déferlante militaire dépassera vite les pays limitrophes. Il est temps d’évacuer vers des lieux censés être plus calmes, autour de Rouen en Seine Maritime.
Quitter le cocon d’origine, pour s’installer avec le minimum, essayer de reconstruire, observer le monde tel qu’il peut devenir !!!
Au début, comme peut le vivre un enfant, Yolande allait se baigner dans la Seine. Elle assistait en douce aux séances de cinéma autorisées plusieurs fois dans la semaine par l’occupant. Elle se créait ainsi son monde bien à elle. Elle déambulait dans la pharmacie de la rue Gros-Horloge au milieu de la population fragilisée par les carences, et côtoyait prudemment les envahisseurs en terrain conquis, mais montrant encore Patte Blanche. Pourtant, la pharmacie était réquisitionnée et contrôlée pour le bien être de tous, disaient ils.
Mais, les tensions se font plus vives ; les bombardements sur les côtes normandes s’intensifient, elle assiste aux exactions sauvages de la soldatesque dans les villas de Sotteville ! Mais surtout, ne pas réveiller la Bête ! Et essayer de survivre au mieux.
C’est à ce moment, que la grande surprise arriva : maman attendait un enfant !!! En pleine guerre !!! Mais, comment avaient ils fait ? L’enfant unique allait avoir une petite sœur, onze ans après ! Quel bonheur ! Le bassin de Maman s’était remis à l’endroit a la suite d’un accident de voiture nous a t’on dit ?
Malheureusement, les conditions d’accouchement furent telles, que la petite en fut handicapée sérieusement, avec toutes les conséquences matérielles et psychologiques afférentes. Les parents d’enfants handicapés me comprendront à demi mot : je ne rentrerai pas dans les détails scatologiques, mais ma mère et ma sœur, Si ! En plus, il fallait adapter sa nourriture, fuir sans cesse les bombardements intensifs de nos alliés, et cavaler dans les abris et les caves, une vie très sportive !!
Et le bassin de Maman se mit de nouveau en route, pour notre plus grand bonheur : un petit frère par an, sous les bombes, on s’éclate !! Heureusement,ces deux garçons semblaient plus ou moins normaux ; ce qui signifiait qu’il y avait deux bouches de plus a nourrir et deux petits derrières a nettoyer tous les jours : les lessiveuses bouillaient a plein régime.
Le père devait donc passer les lignes, pour aller chercher de la nourriture dans les fermes : œufs, lait, légumes, très occasionnellement un lapin ou un poulet, parfois généreusement offert en échange de médecines, mais le plus souvent à prix d’or, "Il faut qu’il y aille, car les petits enfants ont faim".
Pour couronner le tableau, la pharmacie fut entièrement bombardée, à une centaine de mètres de la cathédrale épargnée par miracle, merci mon Dieu ! Et mon frère échappa a la mort grâce aux antibiotiques amenés par les Américains, merci mon Dieu… Enfin,du corned beef, du chocolat, des chewing-gums et du Jazz, encore merci pour tout !
On a plus rien ! Alors on rapatrie sur Anzin, ancienne ville minière, dévolue à la reprise intensive de la métallurgie. L’usine de 5000 ouvriers embauche un pharmacien salarié et nous loge a proximité de la clinique mutualiste. Nous vivons donc au rythme des entrées et sorties d’usine, aux bruits sourds des fonderies dans la nuit, à la résonance des cris des grévistes de la première heure, aux chants de beuverie des jours de quinzaine dans les multiples cafés de la rue Jean Jaurès, aux cris du vitrier qui passe dans sa carriole tôt le matin… La vie quoi !!
Le monde respire enfin : les avions qui virevoltent en parade ne font plus peur, on peut manger toutes les tartes à mémé, qui gonflent au dessus des armoires, des pommes de terre au lait, une orange a Noël, et obtenir quelques tickets d’essence pour se rendre sur la côte d’opale en plusieurs étapes… Que c’est bon, la liberté, La Li Ber Té !!!
Ma grande sœur reprend avec succès ses études supérieures, et devient professeure de français latin grec au lycée Watteau de Valenciennes. Mais jamais elle n’envisagera sérieusement de s’associer avec un homme. Elle en avait trop vu, disait elle, et pas des meilleurs !! Elle se contenta donc si on peut dire,d’aider notre Mère passablement choquée par cette expérience de vie et de mort.
Notre petite sœur s’était stabilisée, si bien qu’un essai de scolarité fut engagé à l’école des sœurs rattachée à l’usine Lorraine Escaut. Les deux frères se sentaient chargés de sa garde rapprochée, car les enfants sont parfois durs avec ceux qui leur paraissent sortir de leurs normes. Mais notre Mimi était trop sensible pour supporter les regards et les gestes inappropriés.
C,est donc notre mère grand, zelia, Mathilde, myrtille, clémence, Deschamps, ancienne institutrice, hussarde de la République à fort tempérament, qui entrepris son enseignement a force de patience, de méthode, et d’affection. Mimi devint ainsi capable de me faire répéter mes leçons de géographie, et de tenir le calendrier du mois de toute la famille : rendez-vous , programme de télé, médicaments des uns et des autres, heures de retour des frères en goguette : nous étions pistés avec un amour évident.
Elle se découvrit d’autres richesses artistiques : elle brodait ainsi pendant de longues heures, des tableaux et napperons qu’elle nous offrait ensuite pour décorer nos intérieurs familiaux. Elle tenait à jour scrupuleusement les albums de famille, et les annotait de dates et commentaires qui nous ont bien servi lors de nos reconstitutions mémorielles. Enfin, elle pouvait se mettre à chanter de grands airs d’opéra et tenter quelques vocalises haut perchées ; elle a donc sans doute influencé ma vocation tardive de Ténor à la chorale chante joie.
On aurait pu croire que ses handicaps la limiteraient à la maison, que non point !! Elle participait avec nous aux activités piscine. Comme beaucoup d’institutions patriarcales, l’usine revendiquait sa vocation sociale : une mutuelle, des écoles, mais également une piscine chauffée toute l’année par ses fours et turbines. Elle était située juste en face de la pharmacie, au quartier de la Bleuse Borne, délimitant un ancien carreau de mine.
Un beau maître nageur entrepris son apprentissage de la brasse, puis des quatre nages en deux ou trois ans, lui aussi à force de patience, de méthode et d’affection. Je m’en suis inspiré dans mes recherches de psychomotricien, sur l’apprentissage de la natation auprès des personnes bloquées par un handicap, ou simplement par la peur de l’eau.
Quand notre père s’est éteint, et que nous partîmes construire notre vie,l es trois femmes vécurent ensemble de longues années, en se construisant leur bulle de protection. Yolande,une femme de tête telle qu’en bâtissent les guerres, tenait les rênes de la maison ; elle se voulait dépositaire des vertus cardinales de la famille. Mais,c’est Mimi qui assurait les liaisons sociales, et mettait de l’huile sur les différences d’appréciation des uns et des autres. De par son caractère enjoué, elle se révélait médiatrice dans nos relations parfois difficiles entre belle mère, grande sœur et frères accaparés par leurs responsabilités.
Il faut reconnaître avec grand recul, que les garçons de notre génération étaient plutôt privilégiés : ils pouvaient échapper aux exigences de la quotidienneté pour se consacrer à leur carrière et a leur vie personnelle. Car le Mâle est en eux, et ils leur semblaient naturel d’en conserver quelques avantages ?¿ ???
Mon ami philosophe, me disait que "leur sororité avait compensé les angles morts de la fraternité" : je veux bien y réfléchir !!
Il n’empêche que je retiendrai plutôt les leçons de Mimi.
Apprends à sourire au milieu des pleurs. "Apprends à égayer le noir, à colorer le blanc, à mettre du pastel en nous pour un moment ".
Au bois dormant, me suis éveillé.
Après deux mois d’endormi doucement, mes travaux d’Hercule à cul_mulet, vont s’achever.
J’ai cultivé mes jardins, arrosé les roses pour qu,’elles éclosent, et cent fois remis l’ouvrage.
J’ai retrouvé Dame Nature... l’oiseau aussi que va, que vient, que vole.
Le soleil, fidèle a ces rdv impromptus, se couche enfin, épuisé !
Alors, je regarde ma mie danser jusqu’à plus soif ??
Spectateur assidu et ravi, je terminé harassé, mais aux anges !!!
Ma messagère envoie ses hirondelles à la violette, par delà monts, mers et merveilles, et les accueille au petit matin, pour découvrir leurs réponses d’amitié... Lorsque le vent du Nord se fait pressant, je tente des mises en ordre qui m’échappent aussitôt, les philosophes assis, les historiens les sociologues et romanciers ne peuvent rien face à ma relecture des œuvres complètes de chante-joie, chante la joie !!!
Voyages, voyages, émissions et réceptions, je dénoue les fils de laine enchevêtrés de la chorale.... certains me comprendront, d’autres non dixit Thérèse, mais mon œil glisse imperceptiblement vers le répertoire des chants polissons et fripons, je les peau-lisse et les relie ; je lézarde et musarde en rond, petit patapon...
Mais au bi du bout de ce parcours, me vient une subite peur de l’infini.
Que faire, misère, je me désespère !!!
j’ai redécouvert l’intime trop vite oublié, et maintenant, les portes se sont entrouvertes ??? je passe un œil ???
L ’aventure commence à l’Aurore, à l’aurore de chaque matin.
François (23/04/20)
l’ Esprit de nos mères
Le joli mois de mai, m’incite de nouveau à la prose,car du haut de mes Hurlevents, souffle l’esprit de nos mères.....
Hop dès le matin, j’apporte naïvement le café au lit de ma belle endormie.
"Par ce vent mauvais, que vas tu faire de ce jour sans fin ?? me dit elle benoîtement
"Mais, j’ai déjà rangé nos photos,nos disques,nos livres et nos chants. J’ai retrouvé les fils de nos générations précédentes, au travers de leurs histoires, de leurs guerres,de leurs terroirs, de leurs hymnes de révoltes,de leurs chants a boire et a pleurer, de France, de Navarre et d’ailleurs.
"Mais, ne pourrait-on ranger les menus que toutes nos grands mères, mères, compagnes,tantes, et amies nous ont transmis en héritage ?? qui sur un coin de table, qui sur un bout de papier, sur le verso d’une enveloppe, ne carte, une fiche,un livre offert"
Bigre, reprit cet animal, en considérant les montagnes de richesses disparates cumulées sur de multiples étagères !!!
C’est Gargantuesque et Pantagruélique !!!!!
Mais ne sais lui dire Non ! surtout avant le repas de fête qu’elle m’avait judicieusement promis en fin d’épreuve...
Justement, je venais de retrouver dans son fond de bibliothèque un parchemin rabougri des œuvres de Rabelais.certes, le vieux François me fut pénible a la relecture, mais j’ai pu y retrouver sens à ma mission :
plaisir des origines de notre langue française, mais aussi plaisir de nos gorges profondes jamais rassasiées, plaisirs qui ont nourri a travers les siècles, nos fantasmes, nos images et nos contes. tant qu’on peut déguster et goûter, nos langues seront toujours vivantes : à deux en tête à tête, en famille, entre amis... mets donc des rallonges a table, François..
Des mêmes étagères, j’ai donc ressorti des richesses englouties : terrines, foie de canard, gésiers, porcs et poissons ; mais aussi vins de nos terroirs, vin liquoreux devenus des nul part ailleurs, goût du passé joyeux, offrande d’un ami, retour de vacances, le tout oublié en fond de cave.. que des matières nobles, issues de notre terre, de nos campagnes et de nos côtes, arrosées de sueur et de peine, avec un zeste de tendresse dans la confection et un secret soigneusement gardé pour les générations futures.. on réapprend a vivre a travers les épreuves, on retrouve les jardins, la culture,la cuisine,l, attention aux autres. foin de ces nourritures terrestres sous cellophane, plastique et métal !!!!
Enfin, j’en arrive a la section fromages Et desserts
Mon esprit divague car la faim me tenaille : mais quel fromage servir avec ce vin de France ? amène moi donc un quignon de pain et du vrai beurre des Hauts de France, issu des mamelles de nos vaches nourries a l,’herbe fraîche du printemps !! manque une gorgée, manque une noix de beurre, manque une miche, encore un gorgeon pour faire l’appoint ; mais quand s’arrête t-on m’a mie ???? vivement les desserts, à la cassonade, au Papin, au miel ou a la chicorée, café et pousse café.... Alors ??
D’aucun, a la mémoire encore vive malgré les embruns, lance un refrain repris a la cantonade. A gosier forcé,sans nuances subtiles, il claironne des roublardises comme un gaillard d’avant, Matelot !! d’autres se débraillé y et se déboutonnent !!!
La sieste est proche....
Je plonge dans les délices...
Je sombre dans le nirvana.
Que c’est épuisant de ranger des générations de menus accumulés.
François (01/05/20)
Les livres de mon père.
Je peux vous l’avouer maintenant :
Il n’y a pas que des rats dans les bibliothèques !!
S’y nichent aussi parfois des petites souris en recherche de sources d’inspiration, de souvenirs enfuis,et de croustillances !!!
Nous sommes nés quelque part !!! au pied d’une cathédrale majestueuse, au rythme des bombardements effrayants. Les livres on disparus dans les dispersions, les exodes les vols ou les autodafés ; parfois, on les a simplement laissés dans d’autres rades, pour s’enfuir dans l’affolement,mon Général !!!
Quand le silence revient, la famille recherche un nid au calme,se pelotonne, quête sa nourriture, s’implante enfin, et peut,à l’occasion s’octroyer quelques rêves......
Dans l’arrière salon, les étagères en acajou rouge se remplissent à nouveau de livres reliés de cuir, illustrés d’images pieuses !!! mais l’on se demande pourquoi ce lieu de culte est interdit aux enfants : c’est le salon des secrets.. pourtant, nous aussi on a besoin de lectures et de découvertes édifiantes !!
Alors, subrepticement,à pas feutrés, en minicati, je passe le cap, et j’entre dans la pénombre au pays d’émerveillements......
Attention, j’ai un but précis : je me forge ma nouvelle culture, au rythme de mes émois d’adolescent . toujours aux aguets, à l’écoute du moindre craquement, je parcours fiévreusement quelques pages parcheminées, au hasard de mes doigts vagabonds,,,,,,
D’abord, il y a pierre Louÿs et ses chansons de bilitis oubliées maintenant ; la femme et le pantin repris par Bunuel dans "cet obscur objet du désir" tout un programme ! puis,se présente le divin Laretin, auquel les bourgeois fortunés de Venise commandaient des histoires lestes dans les Regionamenti, inspirés du Décaméron de Bocace... la belle romaine, extraite de la bibliothèque de ma très grande sœur, certifiée en latin et Grec ancien...ces œuvres sont souvent illustrées de gravures numérotées, à bien y regarder de près, loin d’être pieuses !!! enfin, à mon grand étonnement littéraire, des fables commandées a la Fontaine, qui ne racontait pas que des histoires de fourmis et de petits lapins rencontrés dans les allées du château de Versailles..
L’impatient que j’étais, et que je suis encore, apprenait ainsi l’art de raconter les choses de la vie sans dire la chose ; comment l’amour discourtois devait rester courtois ; comment les chansons de gestes devaient s’exprimer sans gestes, à fleur de mots, pour ne pas être démasqué trop vite dirait on maintenant.
Par un accord que je suppose Tacite, je n’ai jamais croisé mon frère..... mais j’ai rencontré mon Père,,,,,,avec une certaine rudesse fortement ressentie sur la joue ; fin pédagogue qu’il était, j’ai eu droit ensuite a un nouveau conte naturaliste : "la rencontre d’un pistil avec des étamines".. .je n’ai pas compris de suite le rapport ??? puis,il entreprit courageusement mon éducation sentimentale en m’inculquant quelques leçons de morale appliquée très approfondies,, peut être ont elles entretenu une certaine culpabilité dans la coexistence tourmentée avec mon répertoire poétique classique.
Au fur et à mesure de notre renaissance, la bibliothèque s’enrichissait des poètes d’alors : Apollinaire, Baudelaire, Rimbaud, qui s’emparait parfois des thèmes et des finesses des anciens.. je pouvais souvent les relier à travers les siècles des siècles, et retrouver ainsi les origines de leurs inspirations. je créais des liens entre eux, des correspondances dans le style, des racines communes..
Dans mon esprit affranchi,les images entremêlent dans cette valse a mille mots, qui m’a fait fantasmer, tourner, et danser toute ma vie, en douce farandole.....
Si tu savais
François
Jazz et Java copains, ça doit pouvoir se faire !!!!!
Comment se forge notre propre culture ? à quelles sources multiples s’irrigue t’elle ? que reste-t-il des histoires,des chansons, des contes et des mythes ailés qui virevoltent dans nos esprits embrumés ?
Quelques bribes de connaissances inculquées péniblement par nos magistères et des livres que nous avons engloutis ? nous n’en retenons que quelques sensations diffuses égarées dans nos mémoires défaillantes.... je me souviens des leçons particulières d’un vieux professeur de musique d’au moins trente ans, désespéré par mon inadaptation au piano, qui me commentait les grands classiques un verre de whisky à la main, dans de grands délires interprétatifs magnifiques... quelques décennies plus tard,ces grands airs n’ont jamais quitté mon subconscient et ressurgissent à l’occasion......
Et puis, à un moment charnière de notre prime jeunesse, s’impose a nous comme une évidence, un courant porteur de mots, de rythmes, de gestes, dans lequel nous plongeons avec ravissement...
Il est "minuit sous couette", j’ai préparé en douce une lampe de poche et une petite radio et j’attends... j’attends "Pour ceux qui aiment le jazz" de Daniel Filipacchi.... En débarquant, les Américains n’ont pas ramené que chewing-gum, corned beef et même antibiotiques, ils ont importé leur musique, fortement influencée par ces peuples issus d’Afrique, entraînés de gré ou de force dans nos guerres blanches maculées de sang et de larmes... Alors, à la moindre pause,ils entonnent leurs chants rythmés et se mettent à danser pour amuser la galerie, mais aussi pour oublier le feu et les cris d’horreur. ils repartent vers leur passé et leurs mélopées montent au ciel pour rejoindre leur famille et leurs ancêtres. Leur blues rejoint mon blues. les rythmes deviennent plus lents : ils évoquent une mère, une femme, un enfant, un déchirement comme ceux qui ont vécu antérieurement.
Nos présentateurs ressortent des tiroirs de commodes les vieux cylindres, les plaques de cire 78 tours, qui portent encore les sons grésillants des pionniers au nom évocateur : Big Bill Brownzy, Jelly Roll Morton, John Lee Hooker, Lightin Hopkins... Il divulguent aussi les enregistrements des femmes , souvent battues, asservies, exploitées, à la voix brisée, et à la mort prématurée, par épuisement, drogues ou alcool, comme Bessy Smith ou Billy Holiday.... Leurs enterrements m’ont toujours fortement impressionné : aux pas lents,lourds et martelés par la fanfare, le cortège s’ébranle ; il chante le défunt et ses aventures les plus rocambolesques, dans un mélange de rires, de pleurs et de cris ; il l’aide ainsi à rentrer dans le royaume de dieu....
Ces fanfares rustiques ont pu parfois se produire en catimini avec les moyens du bord : bandjos, planches à gratter, casseroles et mirlitons, harmonicas et timbales, cornets et claquettes. Même sans connaissance du solfège, elles ont pu évoluer et composer des ensembles orchestraux plus cohérents.Des solistes s’imposent et enregistrent chez les promoteurs blancs, jusqu’ici apeurés par ces musiques de "sauvages". chaque semaine, je suis de près les évolutions rapides de Louis Armstrong and cie... plus tard,les grands orchestres de Benny Goodman, Count Basy, Oscar Peterson, Lionel Hampton, Scott Hamilton, Duke Ellington,,, OK, ok,ok....
Vers deux heures du matin, je ’écroulé de fatigue, avec musiques en tête jusque dans mes rêves.... je me réveille à l’aube, toutes piles éteintes, secoué par ma grande sœur pour me rendre au lycée... Connaissant ma passion, elle m’entraîna plus tard écouter Ray Charles a Lille, et un soir dans une boîte de Jazz "aux Arcades"a valenciennes. il faut dire que s’y produisait un clarinettiste doué, qui faisait partie de l’équipe de pharmaciens de mon père, et qui arrondissait ainsi ses fins de mois. Il devint mon mentor : je lui ramenais les petits 45 tours en plastique que j’avais dégotés chez la marchande de journaux, puis les premiers 33 tours vendus par des disquaires importateurs des richesses anglo saxonnes... Pourtant,les premiers groupes anglais me sont passés par dessus tête. ils se trouvaient supplantés par le rock et la vague des yéyés qui submergeait nos pistes de danse. Je préférais approfondir mes connaissances de la langue Jazzy. il faut dire que les chanteurs et leur groupe ont pu à nouveau investir l’Europe et la France pour des tournées mémorables ; même les valeureux septuagénaires noirs débarquait dans nos villes pour exhaler leurs chants jusqu’au dernier souffle, et nous les écoutions religieusement. Moi même, je cherchais à différencier les sons des instruments pour retrouver l’accompagnement d’une basse, ou le phrasé d’une flûte plus doux que l’éclat de la trompette. Je cherchais a brancher des riffs sur les enregistrements,ou à scatter des onomatopées rythmées sur celles de Ella Fitzgerald ou sur la chorale des Doubles Six.... Passionnant, n’est-ce pas ???
Hélas,la suite de Charlie Burd Parker, de Miles Devis, de Dizzy Gillepsi ou de Coltrane, cette recherche musicale est devenue plus complexe, parfois trop Free et réservée à un public à l’oreille Averty qui en vaut deux. J,ai eu du mal à trouver des interlocuteurs pour me suivre sur ces chemins escarpés :brisures de rythme, foisonnement de notes, projections sonores, syncopes complexes, dissonances proches des musiques symphoniques ??????
Alors !!! la musique du peuple passera t’elle par le Rap ? de prime abord ,j’ai eu du mal à le croire ; cette brutalité, cette rage enfuie s’exprimant par cris, vociférations et invectives, m’apparaissait bien frustré...., et pourtant, la aussi, des pionniers d’un nouveau langage, des artistes du verbe recomposé, ont peu a peu enrichi ces modes d’expression de nouveaux mots, codes,sons et gestes, puisés dans leur imaginaire. Le rapprochement de la danse d’expression leur a conféré un sens plus charnel. Il n’est plus de grands danseurs qui n’amalgament leurs techniques classiques avec les gestuels du Rap. Malgré mes réticences originelles, assister à une chorégraphie mêlant ces jeux du corps et des musiques, me remplit souvent surprises esthétiques fortes, qui portent toujours le même message :
Ne pas se laisser enfermer !!! Jamais
Mes nids d’amour !
Survint comme une évidence, l’impérieuse nécessité de quitter le cocon familial, s’émanciper,, larguer les amarres !!!!!
Je tente l’aventure avec une femme encore plus fragile que moi a l’origine.
On s’installé au dessus d’un vieux café de Valenciennes avec presque rien : quelques meubles en rotin et formica, le lit trop étroit de ma grand mère,et l’édredon en plumes d’oie qui me suivra toute ma vie, comme un tapis volant.
Peu à peu, on se meuble vraiment, on apprend à se connaître avec plus de hauts que de bas, on va au delà des tensions à force d’amour et d’efforts " ré si proches". On se construit pierre par pierre, on devient plus solide et on choisit nos voies.
La même vocation nous relie : apporter aux enfants des autres un havre d’affection quelque puissent être leurs blessures, animer des équipages autour d’eux, pour les vivifier, leur apporter des nourritures, mais aussi, sans doute, se nourrir d’eux en retour de service...
A deux, face aux adversités, on doit choisir un point d’ancrage. Ce sera près d’Etaples sur Mer, dans une petite ville en étoile, la bien nommée Stella plage...
On crée des foyers de vie, on sort les enfants fragilisés des hospices et des hôpitaux, on leur offre des ouvertures, on leur donne quelques rudiments de vie, on leur apprend à s’envoler,p eu ou prou, eux aussi.
De logement de fonction en logement de fonction, la maison de Stella reste notre refuge. On se protège l’un l’autre dans notre hutte, sous le toit de notre chambre mansardée, enfouis sous la couette duveteuse.
Puis vint sa fin...
Et ma retraite en lambeaux !!!!
Seul, au fond de ma coquille, avec quelques émergences en bénévolats "d’hiver", pour servir, mais surtout pour remplir le temps qui passe inexorable.
Ne reste que le vide sidérant, les silences du soir....
L’homme est nu... et tangue dans la nuit, accroché au bastingage...
Alors, je m’attache à la beauté des étoiles, et j’apprends du ciel...
Vertudieu !!! Il ne sera pas dit que je me laisserai écraser par cette acharnement !!!!
Une chanteuse fredonne a ma porte, je deviens "le prince qu’on sort" de sa léthargie, elle m’emmène aux rencontres chorale, elle me secoue, je m’ébroue et refait surface peu a peu...
Lorsqu’un ange parfumé passe à nouveau sur Stella, mon cœur soupire, je sors de ma réserve, j’ose, je parle avec quelqu’un, je reprends la barre, je Revie !!!
Le bel oiseau m’accueille en son temple. Nos déchirures se comblent peu à peu... On se rebâtit un monde entre Templeuve et Stella... jusqu’au nouveau drame, à l’identique du premier, comme un sortilège maléfique. Deux ans de galère, à fleur de mort et de vie... je m’assoupis avec elle, au milieu des fils enchevêtrés de son lit de douleurs...
Le dernier souffle, puis plus rien encore et encore, que des souvenirs magnifiques au partage entre chien et chat.
La quille en l’air s’est retournée sur moi....
Marre,Marre, marée noire.
Heureusement,le chant m’a toujours porté vie : avec les enfants des autres, avec mes équipiers, avec quelques amis compatissants.
Boulogne sur Mer devint donc mon deuxième port d’attache.
Je ramasse sur ma route marine, quelques choristes attardés, qui m’accompagnent jusqu’au point de rencontre... On voyage de pays en pays, de port en port, dans toutes les langues et par tous les temps.
Mirage ? Miracle ? deux voix s’accordent à nouveau sur le tard de leur vie, la nostalgie s’estompe et le brouillard se lève.
Elle rentre dans ma danse
On fait quelques pas de côté
On s’invite dans nos tanières
On se séduit a nouveau
On réapprend a se toucher !!!!
Nb : Dieu ! qu ’avec délicatesse ces choses là sont dites ! mais qu’avec ardeur ces choses là sont faites !!
Comme des écorchés vifs, on reste un moment à distance respectueuse entre Stella et Outreau, mais pas trop !
Pourtant, un jour vint le temps de rebâtir ensemble. Nous quittons nos repaires chargés d’histoires multiples, pour tenter de construire notre nid douillet... Nous partons avec nos livres, nos chants, notre doudoune en plumes, et nos fantômes bienveillants...
"On ne ’enfuit pas, on vole, car il suffit de passer le pont"
Accroche toi,ma belle, à cette Liane providentielle, pour atterrir à St Martin... dans sa grande mansuétude, le bon apôtre nous attend sur l’autre rive, les bras grands ouverts.
Vol au dessus d’un nid perché qui surplombe la ville, et s’ouvre sur l’embouchure du fleuve :
Nous voyons la vie d’en haut !
Nous voyons les navires à l’horizon !
Nous voyons la mer au dessus de la cime des arbres
Nous voyons passer les oies sauvages
Et nous chantons, toutes fenêtres ouvertes, et toutes voiles dehors, pour crier au monde notre allégresse !!!!
François. 10 Mars 2021